
(…) Par ailleurs, lorsque les politiques publiques paraissent aggraver les problèmes plutôt que les résoudre, elles provoquent dans une partie de la population une volonté de retrait, voire de sécession sociale, qui conduit notamment à vouloir s’organiser autrement, à l’écart des élites, afin que celles-ci ne disent plus ce qu’il faut faire ou ne pas faire, ce qui est bien ou mal. On trouve dans l’affaire d’Uber, par exemple, des réactions de ce type : des jeunes, issus de la banlieue souvent, veulent pouvoir travailler de manière flexible ou disposer d’un mode de transport peu onéreux et pratique, sans qu’une réglementation vienne les contraindre. (…) L’insécurité sociale, face au chômage et à la stagnation du pouvoir d’achat, se combine étroitement avec ce que j’ai appelé l’insécurité culturelle. Or, les élites ne fournissent plus une lecture pertinente du monde (des défis, des difficultés, etc., au niveau mondial ou européen), quand elles ne se mettent pas à traiter tout simplement le peuple de crétin ou de racisme. Un exemple de cet aveuglement ou de ce déni d’une partie des élites face au réel s’est bien vu sur ce mode après les événements de Cologne. C’est aujourd’hui sensible, à la fois économiquement et en termes de définition de l’identité, à propos de la construction européenne, de la gestion de la crise des migrants, de l’inquiétude face aux bouleversements au Proche-Orient ou en Afrique, ou de la démultiplication du terrorisme.
Laurent Bouvet, professeur de théorie politique, Marianne, 5 au 11 février 2016, N° 982.
(…) Oui, Iñárritu vous met au défi d’être authentique, il est intraitable sur ce qui lui semble être juste ou non. On l’a beaucoup attaqué à ce propos, alors que, pour moi, on devrait le remercier. J’ai trop de respect pour le cinéma pour travailler avec des gens qui le prennent à la légère. La souffrance ne dure qu’un temps – et, encore une fois, la souffrance sur un plateau est toute relative – , les films, eux, nous survivront pour des siècles. Des réalisateurs comme Iñárritu ou Scorcese sont attentifs au moindre détail et refusent d’avancer tant qu’on ne leur a pas donné ce qu’ils veulent. En faisant ça, ils garantissent leur intégrité artistique mais aussi celle de leurs acteurs. Nicholson disait de Kubrick : « On sait qu’il a soupesé chaque plan, chaque décision, un millier de fois, on peut se concentrer sur son interprétation. » On se sent à l’abri, on se sent protégé, c’est un sentiment précieux. Un réalisateur se bat pour arriver à ce qu’il veut ? On devrait le féliciter, par en parler comme d’un fou dangereux.
Leonardo DiCaprio, propos recueillis par Laurent Rigoulet, Télérama, 6 au 12 février 2016, N° 3447.
(…) « C’est un plan média et nous sommes fiers d’en faire partie », sourit Catherine Barma, la productrice de l’émission de France 2 « On n’est pas couché ». Celle-ci précise que c’est l’ex-garde des Sceaux et son éditeur Philippe Rey qui ont d’emblée choisi de se rendre dans le talk-show animé par Laurent Ruquier. En parallèle Mme Taubira a accordé un entretien à un journal papier, Le Monde, paru le 2 février. « L’éditeur m’a appelée le vendredi 29 janvier, deux jours après la démission, pour me proposer la venue d’un “XY’’, comme on dit quand on veut garder l’anonymat d’un invité d’importance », raconte Mme Barma. La raison du secret était lié à celui entourant la sortie du livre de Mme Taubira, paru lundi 1er février, dans un délai record après son départ du gouvernement. Mme Barma appris l’identité de l’invitée lors d’un rendez-vous avec M. Rey, vendredi midi. Puis elle a mis Laurent Ruquier dans la confidence. La sortie du livre a été éventée dimanche soir par France 2 et, lundi, Mme Barma a pu confirmer que la ministre se rendrait à « On n’est pas couché ». Auparavant, Mme Taubira avait choisi de parler à Michel Denisot dans « Conversations secrètes », dont la diffusion a été avancée au mercredi 27 janvier. Elle n’y confiait pas ses projets.
Alexandre Picquard, Le Monde, Dimanche 7 – Lundi 8 février 2016. N° 22103.
(…) Une société, Facility, est créée pour relancer et professionnaliser la machine. Repartir de zéro. « Nous, les juifs, on vit avec le sentiment que l’on peut tout perdre, à tout moment. J’aurais bien aimé me tourner vers la religion, mais ce n’est pas mon truc. Alors, comme je n’ai pas d’ami rabbin, je parle avec un ami philosophe, ça me fait du bien. » S’engouffrer dans le travail. Ne rien lâcher. Courir pour ne pas tomber. « C’est un peu ça, soupire l’ami Stéphane. Je ne sais pas comment il tient. C’est un truc de survie, il a remis à plus tard sa propre reconstruction. » La Belle Équipe, un dérivatif, un exutoire, presque un mantra. Elle revivra, pour ressusciter des enfers. (…) Prochain objectif, donc, la réouverture de La Belle Équipe. Un événement qu’il voudrait sans chichis, sans caméras. Il se projette. « Comme d’hab’, on ouvre à 8 heurs, on sert le premier café. Et le quartier revit. » Il gardera, peut-être, la chaise avec les impacts, comme triste relique. Il prendra, sûrement, un homme pour assurer la sécurité, voire éconduire les curieux un peu lourds. Mais Grégory ne sera pas là. Il restera à distance, désormais. Peu importe. Mission accomplie, au nom de Djamila. Mais aussi de Hodda, Halima, Romain, Hyacinthe… Et de Tess, bien sûr. Aux yeux de la fillette, son papa est un « héros », car un survivant. Un Little big man.
Grégory Reibenberg, patron de La Belle Équipe, article par Gérard Davet et Fabrice Lhomme, M le magazine du Monde, 6 février 2016, n° 229.
(…) J’étais à la radio, à Montréal, le jour où un sondage a dit qu’un Québécois sur cinq refuse l’étranger. L’animateur était désespéré. Je lui ai répondu : « Vous voulez dire que quatre Québécois sur cinq acceptent l’étranger ? Mais c’est énorme ! »… Il y a une haine quotidienne, rampante, délétère, un peu partout. En France, on le sent physiquement. Il y a de la peur. Des choses terribles se sont passées à Paris. Et d’autres choses ont eu lieu, qui sont graves aussi : des déclarations publiques, de la haine ordinaire sur internet… C’est une haine qui se sent bien, un monologue qui n’écoute pas l’objection, et auquel on ne fait d’ailleurs pas trop d’objections. On se contente de pleurer en soi. On a besoin d’une forte énergie, que les quatre cinquièmes disent que l’avenir ne sera pas fait par les autres. Quelqu’un comme Mme Morano ne peut pas me décourager. Tout ce qu’elle a, c’est un micro. Mais, en démocratie, chaque voix compte, quotidiennement. On ne peut pas tout le temps cacher la poussière historique sous le tapis : ni à l’école ni à l’Académie, où il faut faire entrer des mots, des cultures. Il faut ouvrir tout cela, pour préparer l’avenir. Enfin, la haine n’existe pas que sous sa forme raciste, en France. Je vois autant de Noirs que de Blancs qui viennent manger dans la poubelle. Pourquoi l’argent s’est-il concentré ainsi ? Les propos racistes ne sont pas si importants. C’est comme la fièvre. Ce n’est pas une maladie, mais l’indication que vous avez une maladie. Il faut aller voir dessous ce qui a bougé dans la structure profonde de la France. On a besoin de spéléologues. Si on ne colmate pas, on aura toujours des poussées de fièvre.
Dany Laferrière, académicien, propos recueilli par Grégoire Leménager, L’OBS, 4 au 10 février 2016, n° 2774.