
L’Europe progresse. Malgré tout. Je veux parler de la vraie, celle de la rencontre entre les hommes, entre les créateurs. Celle aussi qui est ouverte sur le monde, accueillante et enrichie par ses composantes, ses histoires d’amour et de solidarité. L’Europe d’humanité. Celle qui dépasse et honore ses frontières étoilées. Le film d’Aki Kaurismäki Le Havre en est un bel exemple. Lauréat, le 16 décembre, du prix Louis Delluc qui récompense le meilleur film français de l’année, Le Havre est en fait un joli croisement de destinées et d’identités. Sa production dépend de trois pays: Allemagne, Finlande, France. Aki Kaurismäki ne parle pas le français… mais très bien le rock ! Ancien leader d’un groupe, il laisse place ici, comme dans d’autres de ses films, à des rockers à qui il donne le temps d’interpréter leur chanson. Ici, au Havre, c’est évidemment Little Bob et ses complices. Mais le cinéaste taiseux sait se faire comprendre du public. Et de ses acteurs, majoritairement français : le grand acteur de théâtre André Vilms, le toujours excellent Jean-Pierre Darroussin et deux OVNI du cinéma national Pierre Etaix et Jean-Pierre Léaud auxquels il faut ajouter sa compatriote et actrice fétiche Kati Outinen. Le jeune Blondin Miguel et Quoc Dung Nguyen, ces sans-papiers ou faux-papiers et vrais humains sont magnifiques de “réalisme”, ce cinéma pourtant que Kaurismäki a fui. Eclats d’identités d’aujourd’hui, et plus encore celles d’un demain qui s’annonce, Kaurismäki nous démontre que l’on peut vivre le temps… Ensemble. Ce temps qui n’est pas de pas-perdus et qui s’étire au rythme de travail des gens « normaux », cireurs de chaussure, pêcheurs, épicier, cafetier, boulanger… et même flic de la police judiciaire. Ce temps piétiné par les voyageurs aux pas précipités et aveugles déboulant dans la gare de leur train-train de travail quotidien. Ce temps, un havre de paix à l’exact opposé du temps paniqué de cette mafia aux mallettes de corruption et aux flingues tueurs, image de nouveaux présente chez le cinéaste finlandais. Les parrains de l’autre société, noire et sans étoiles. De l’autre Europe ? Celle que n’imagine pas le jeune sénégalais « tombé de son container de misère » au Havre par effraction au lieu d’atteindre le Londres rêvé où vit sa tante. Celle qu’il rejoindra grâce à ceux qui parlent peu. Pour tout dire.